A ce premier argument en faveur d'un enseignement de l'histoire fondé sur des démarches proprement historiennes, nous aimerions en apporter trois autres. Pour commencer, sous prétexte de respecter le développement intellectuel de l'enfant, ne prend-on pas le risque de tarir sa curiosité pour ce passé, champ de tous les possibles, avec lequel il est, malgré lui, en contact au travers d'un vaste panel de discours historiques informels, fonds de commerce de nombreux albums de jeunesse, dessins animés, films ou séries. Ensuite, laisser l'imagination de l'enfant déambuler dans ce temps passé sans une médiation adéquate, idéalement amenée par l'enseignant, ne revient-il pas à le laisser se forger une vision simpliste, adossée à des poncifs, dont il sera bien difficile de l'extraire par la suite. Les expériences les plus récentes menées, en neurosciences cognitives, sur la persistance des premières représentations mentales nous mettent en garde : on ne se débarrasse jamais d'une connaissance ou d'une conception initiale erronée ou biaisée: au mieux, on apprend à la contrôler pour permettre à une version plus exacte de prendre le relai (1). Enfin, doit-on se résigner à attendre l'adolescence pour apprendre à l'enfant à penser, à appréhender le réel dans sa complexité (2). L'école primaire doit-elle renoncer à cette mission sous prétexte que l'enfant n'a pas l'ensemble de l'équipement cognitif pour le faire ? La recherche en didactique de l'histoire doit-elle faire de même ? Peut-on continuer à promouvoir une mission citoyenne à l'enseignement de l'histoire si on ne cherche pas à favoriser, à travers lui, l'élaboration d'une pensée critique et raisonnée, autrement dit historique, à l'école primaire ?

1. MASSON & BRAULT-FOLSY, 2012, 15-27.
2. Les recherches et expériences ne manquent pas sur l'enseignement de l'histoire dans l'enseignement secondaire. En revanche, elles sont rares à porter sur les pratiques du primaire pour lequel les publications se limitent à des outils pratico-pratiques à l'attention des enseignants, essentiellement des référentiels et des manuels le plus souvent conçus par des enseignants de terrain à l'attention de leurs pairs. Pour des publications didactiques étayées par les évolutions récentes de la recherche, il faut se tourner vers le Québec. Retenons ainsi deux ouvrages collaboratifs récents : "Les sciences humaines à l'école primaire québécoise. Regards croisés sur un domaine de recherche et d'intervention", sous la direction de M.-C. LAROUCHE & A. ARAUJO-OLIVEIRA, PUQ, 2014 ; "Histoire, Musées et éducation à la citoyenneté", sous la direction de J.-F. CARDIN, M.-A. ETHIER & A. MEUNIER, Cahier de l'Institut du Patrimoine de l'UQAM, 2010.
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