En psychologie du développement, ce qu'il est convenu d'appeler « le contrôle inhibiteur » désigne la capacité à résister à une forte envie de faire quelque chose, à écarter les éléments non pertinents pour l'activité en cours. Dans le contexte du développement de l'enfant, cette fonction est avant tout liée au contrôle des impulsions et à la régulation des comportements. Mais, récemment, O. Houdé n'a pas hésité à investir l'inhibition d'un rôle décisif dans la faculté d'une personne, quel que soit son âge, à élaborer un raisonnement, redéfinissant du même coup l'acte de raisonner. En effet, selon ce dernier, un raisonnement opérant est avant tout le résultat de la capacité d'un individu à inhiber un raisonnement inapproprié et, plus particulièrement, à tenir à l'écart les biais qui parasitent sa mise en oeuvre (1). A côté du biais d'appariement qui concerne les opérations purement logiques, O. Houdé épingle deux autres biais, dont les interférences semblent de nature à concerner un raisonnement de type historique. Ainsi, d'une part, le « biais cognitif » découle de nos croyances et nous incite à privilégier la crédibilité d'une situation ou d'un savoir plutôt que sa validité. D'autre part, le biais de représentativité s'appuie sur notre propension naturelle à rapprocher le réel avec des stéréotypes véhiculés par la société. Le plus souvent, nous le faisons de façon inconsciente. Ainsi, à notre insu, ces biais façonnent nos jugements en créant des expédients cognitifs qui devancent et empêchent le cheminement d'une pensée contextualisée, distanciée, opportune. Celle-ci ne peut émerger que si un système inhibiteur opérant est en mesure d'écarter ces raisonnements hâtifs, immédiats et inadéquats. Or, cette habileté cognitive, « le contrôle inhibiteur » précisément, peut être entraîné de façon à accroître son efficience. O. Houdé préconise à cet effet une sorte d'entraînement cognitif (2), qui pourrait se révéler particulièrement efficaces entre 3 et 6 ans, une tranche d'âge durant laquelle les performances du système inhibiteur augmentent sensiblement (3).
Rapporté à notre dispositif, cette conception « augmentée » du contrôle inhibiteur pourrait être une clé d'analyse intéressante de différentes activités vécues par les enfants dans le cadre du dispositif « Bih-Bih ». Comme nous l'avons vu, le contenu descriptif livré par les enfants était souvent parasité par des expériences en lien avec leur vécu ou avec des connaissances erronées, piochées dans des situations de vie ou dans leurs savoirs naïfs. Au fil des rituels, d'observation/description, d'abord, de catégorisation, ensuite, et de classement chronologique, enfin, les apprenants ont appris à « réfréner » ces réponses immédiates, intra-personnelles, qui se sont raréfiées avant de devenir inexistantes dans les interactions verbales comme si les enfants, du moins une majorité d'entre eux, avaient compris qu'elles n'avaient plus leur place dans le contexte du dispositif. En résumé et c'est sûrement là un des changements les plus significatifs observés à l'issue du projet sur le plan des interactions (transactions) verbales: les enfants se sont extraits de cette logique d'auto-centration pour apprendre à convoquer leurs expériences de vie de façon plus pertinente et dans l'optique de construire des liens précis avec les nouveaux savoirs. Le contrôle inhibiteur serait-il un levier essentiel de la décentration chez l'enfant ? Dans le contexte, il semble en tout cas avoir eu une incidence sur la capacité de l'enfant à poser les prémisses d'une pensée centrée sur l'objet étudié en ramenant le curseur de l'attention sur l'activité d'apprentissage, ce qui suppose une « résistance cognitive » à toute forme d'interférence de sa pensée.

En réalité, O. Houdé et son équipe vont encore plus loin en faisant du système inhibiteur la pierre angulaire du développement cognitif de tout individu  qui ne dépend plus seulement de l'acquisition de savoirs de plus en plus complexes mais également d'une capacité globale à inhiber les connaissances précédemment acquises. Cf. BORST, HOUDE, AITE, 2015, pp. 21-25. N. CHEVALIER, 2015, p. 152, rappelle que l'on distingue l'inhibition de réponse et l'inhibition conceptuelle, la premier servant à bloquer des réponses automatiques, sur-apprises; la seconde écartant les réponses et les processus cognitifs non pertinents en regard de l'objectif à atteindre.
Des études récentes confortent l'idée que le développement cognitif d'un individu dépend non seulement de sa capacité à acquérir des connaissances dont la complexité est croissante mais également à inhiber les connaissances précédemment acquises et inadéquatement utilisées ; voir BORST, AITE, HOUDE, 2015.
CHEVALIER, 2010, p. 153.
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