Temps 1 : Catégoriser à partir du même jeu de documents iconographiques.
Dans cette phase, les activités ont été réalisées avec le même jeu de documents iconographiques que celui exploré précédemment, autrement dit, les oeuvres extraites de l'album de Claude Ponti. Aussi, sommes-nous d'abord repartis de l'appariement déjà effectué tout au long des rituels : illustration/photographie de l'oeuvre authentique. L'appariement proprement dit s'est fait sans problème, les enfants n'ayant aucune difficulté à distinguer le document fictionnel de sa reproduction photographique. En revanche, la justification au classement a laissé apparaître une confusion entre l'objet observé et le type de représentation de celui-ci : l'illustration d'un côté, la photo, de l'autre. Ainsi, assez curieusement, lorsque les enfants étaient invités à dire ce qu'ils voyaient sur la reproduction de l'objet – question qui portait à priori sur le contenu - , ils répondaient en identifiant l'objet par son étiquette (« une statue », « une fresque » ou « un bas-relief ») lorsqu'ils l'observaient à partir de l'illustration extraite de l'album mais répondaient une photo lorsqu'ils l'observaient à partir de sa reproduction photographique, comme si la photo était un objet en tant que tel et non l'illustration. Outre cette confusion conceptuelle, que l'on peut sans doute interpréter, dans certains cas, comme une réponse automatique, reflétant une sorte d'économie cognitive, l'activité a surtout mis en évidence le principal problème inhérent des tâches de classement, à savoir organiser spatialement les informations. Selon les enfants, les dispositions les plus variées ont été observées : juxtaposition verticale, horizontale, sur une ou plusieurs rangées ou même aléatoires ; chez certains enfants, les documents étaient "collés" les uns aux autres; chez d'autres enfants, ils étaient distants les uns des autres. En règle générale, un relatif désordre était de mise, pour lequel la remédiation verbale n'a pas été aisée, butant invariablement sur la maîtrise des repères spatiaux conventionnels utilisés ici en situation de transfert : de la gauche vers la droite, horizontal/vertical, de haut en bas. En dépit de ces difficultés, nous avons cependant introduit une contrainte supplémentaire : les enfants ont été invités à placer, à gauche, la « trace du passé », à droite, l'illustration de l'album de Claude Ponti. L'objectif était de sensibiliser l'enfant à la toute première règle présidant à la lecture de la ligne du temps : ce qui est ancien se place à gauche, ce qui est récent se place à droite. Cette consigne n'a pas manqué de poser des difficultés aux enfants pour lesquels la latéralisation restait non maîtrisée. Une telle activité n'en a pas moins permis de repenser l'acquisition de cette opération mentale dans un contexte d'apprentissage différent de celui dans lequel, elle est traditionnellement exercée. Implicitement, elle a eu pour effet de démontrer que le temps et l'espace étaient insécables. Enfin, la consigne a été donnée aux enfants de retirer les illustrations, pour ne conserver devant eux qu'une seule série de documents iconographiques : les photographies reproduisant les traces du passé. 
Dans la dernière phase, nous leur avons demandé s'il était possible de mettre ensemble certaines oeuvres selon leurs points communs: les enfants ont spontanément proposé de regrouper les statues, les bas-reliefs, les oeuvres architecturales, etc. , nous permettant ainsi de vérifier que ces critères étaient désormais clairement identifiés comme des outils d'organisation de l'information.
Le classement détermine une habileté cognitive indispensable au traitement, à la mémorisation et à l'utilisation de l'information (1) . Surtout, il repose sur une opération inhérente à toute activité mentale, inscrite au coeur même du travail de l'historien : la comparaison. Ceci étant, à ce stade du dispositif, les exercices de classement ont d'abord pris toute leur pertinence dans la double fonction qu'ils ont pu remplir : tout d'abord, faire apparaître le « déjà là » de l'apprenant (fonction diagnostique) en même temps qu'établir une première évaluation des apprentissages, en voie d'acquisition, activés lors de la phase 1, tant les nouveaux savoirs (le nom des oeuvres) que les procédures exercées (observer/décrire/comparer). A chaque fois, les enfants travaillaient individuellement avant que l'un d'eux ne soit désigné ou ne se porte volontaire pour exposer son classement à ses condisciples. Ainsi, ont-ils pu apprivoiser, chacun selon son rythme, et le schéma cognitif et les savoirs en jeu, et les faire évoluer par le débat collectif. Et alors que nous redoutions que le caractère répétitif des activités n'altère la motivation, la réitération constante a, au contraire, agi comme un levier de motivation intrinsèque : les enfants ont pris un plaisir croissant à identifier les objets par leur nom et à les désigner selon leur appartenance à une catégorie : à cet égard, il n'est pas vain de dire qu'à défaut de toucher sensoriellement les oeuvres et les objets évoqués, les enfants en ont pris possession par l'évocation et le langage. L'utilisation du même jeu d'oeuvres pour chaque activité a participé d'une connaissance verbalisée toujours plus fine de celles-ci, qui a agi comme le catalyseur de deux attitudes en apparence contradictoires : un attachement affectif pour ces oeuvres allant de pair avec une mise à distance progressive de celles-ci, désormais élevées au rang d'objets d'étude à part entière.

1BARTH, 2001, p. 46.
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