Cela fait plus de 40 ans maintenant que l'enseignement de l'histoire, à l'école primaire, du moins en Belgique, mais pas seulement, est chevillé à la conception piagétienne en matière de structuration du temps chez l'enfant. Chapeauté par la supra-compétence, « l'enfant structure le temps », auquel se subordonnent les autres compétences, le programme d'éveil historique, tel que développé par le « Socle de compétences »(1) se cale sur la progression mentale suggérée par Piaget : l'enfant passe d'un rapport au temps intuitif, autocentré et exclusivement fondé sur ses besoins immédiats à un rapport au temps construit, résultant de représentations abstraites inscrites dans des durées longues qu'elles soient passées ou futures ; ce dernier stade, « le temps opératoire », s'acquerrait, toujours selon J. Piaget, vers 11 ou 12 ans. C'est à cet âge que l'enfant accèderait au stade des opérations formelles, qui lui permettent, entre autres, d'élaborer un raisonnement de type hypothético-déductif, lequel détermine une des fondations de la pensée historique(2). En termes d'activités d'apprentissages, cela se traduit par une progression qui amène l'enfant à percevoir et à organiser d'abord son temps proche, au cycle I, pour aller vers la représentation d'un passé de plus en plus éloigné et donc abstrait, au cycle IV. C'est d'ailleurs seulement à ce niveau que commence à poindre l'enseignement d'un premier « discours » historique organisé autour des repères qui fondent sa connaissance, à savoir les dates, les périodes, et un certain nombre d'événements sélectionnés autour desquels s'établissent les premiers rapports de causalité. D'une façon générale, il se dégage de cette conception un enseignement de l'histoire particulièrement prudent qui franchit avec peine les barrières spatio-temporelles proches de l'enfant  et vient invariablement buter contre les murs invisibles de son environnement « familier », dans lequel se dessinent les traces d'un passé encore présent, encore palpable et facilement incarné, le plus souvent par la convocation des générations: "A quoi jouaient mon papy et ma mamy quand ils avaient mon âge ? A quoi ressemblait l'école à cette époque ? Y avait-il des autos comme aujourd'hui ?" De fait, on reste davantage dans les limites d'une sensibilisation au temps passé, que dans la construction d'apprentissages fondés sur des démarches qui se rapprocheraient un tant soit peu de celles requises par l'étude du temps passé. Il en résulte un enseignement essentiellement centré sur la transmission de savoirs souvent simplificateurs, lesquels induisent des connaissances stéréotypées mais, malheureusement, durablement installées. L'argument unanimement invoqué est que l'histoire, contrairement aux sciences, est un champ de connaissances « trop abstrait », que les enfants ne sont pas encore assez outillés sur le plan cognitif que pour s'y aventurer, que " ils ne peuvent pas comprendre »... Il faudrait donc attendre que le développement cognitif rende possible l'étude de l'histoire. Or, ne pourrait-on, à l'inverse, poser le problème en les termes suivants : l'enseignement de l'histoire ne devrait-il pas avoir comme première mission de doter l'enfant des outils qui vont lui permettre d'accéder à l'abstraction? Parce qu'abstraite, ne devrait-elle pas précisément être la discipline qui apprend à abstraire ? Car l'abstraction est d'abord une opération mentale qui n'est pas naturelle mais s'apprend... C'est en tout cas le parti pris dans le projet décrit ci-dessous conçu autour du postulat que l'éveil historique doit permettre de développer des habiletés mentales de premier plan et, ce, dès le début du cycle II (3e maternelle-2e année primaire).


Socles de compétences, voir version en ligne: http://www.enseignement.be/index.php?page=24737
DEMERS, LEFRANCOIS & ETHIER, 2014, p. 49: « L'idée que des élèves d'âge primaire puissent apprendre l'histoire et développer les modes de pensée qui lui sont propres a longtemps été mise en doute. Les modèles piagétiens qui ont dominé la recherche dans ce domaine jusque dans les années 1980, stipulaient en effet que les élèves de moins de 14 à 16 ans étaient incapables de déployer les processus cognitifs requis pour aborder les matériaux de l'histoire de façon critique ».
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