Parallèlement aux activités de classement du temps 1, le rituel de « L'oeuvre du jour » s'est poursuivi selon un rythme quotidien, alimenté cette fois par les apports personnels de la classe; ceux de l'institutrice, dans un premier temps, puis des enfants qui, tour à tour, sont venus présenter leur « oeuvre préférée »(1), oeuvre qu'ils ont pu sélectionner dans une série d'ouvrages dédiés à l'art mis à leur disposition en classe ou amenés de la maison. Conduite toujours selon le même protocole d'observation/description, cette activité a permis de mesurer et de consolider les progrès accomplis par les enfants dans l'intériorisation de la procédure d'analyse (2). A travers cette activité, il s'agissait de favoriser le processus de généralisation des concepts permettant de classer les oeuvres d'art, mais en appuyant sur un nouveau levier de motivation intrinsèque: la liberté de choix dont ils disposaient pour sélectionner une oeuvre. Cette première étape dans la généralisation a été l'occasion également d'approcher la notion de jugement esthétique et de faire évoluer son expression - « je trouve que c'est beau » - vers une analyse de plus en plus « intégrative » de l'oeuvre, autrement dit, dépassant le seul jugement perceptif et subjectif et capable d'envisager l'oeuvre sous des aspects liés à sa forme, ses couleurs, son contenu, son sens...
La seconde étape de la généralisation a consisté en l'exploration d'un nouveau corpus de « traces du passé » imposé par l'enseignant et composé d'oeuvres certes inconnues mais présentant néanmoins des similitudes formelles, thématiques ou graphiques, avec le corpus d'oeuvres initial. Il a été soumis aux enfants sans présentation ni observation préalables, avec pour seule consigne de les « classer » sans qu'aucun critère ne soit fixé ; cet exercice avait pour but de vérifier si les catégories de traces du passé étaient désormais en mesure d'être convoquées de façon adéquate sur la base de l'observation d'un corpus d'images inédit (3). Pour certains enfants, très à l'aise dans le dispositif jusqu'ici, la tâche n'a posé aucun problème, suscitant même des rapprochements pertinents avec les oeuvres déjà connues. Pour d'autres en revanche, elle a fait apparaître des difficultés auxquelles nous pourrions sans doute attribuer deux causes : l'une, inhérente à la tâche proprement-dite, est l'absence de temps d'observation/description précédant le classement. L'escamotage de la phase de verbalisation individuelle et collective est, selon nous, la principale raison de l'échec observé à la fois dans l'opération de catégorisation et dans l'incapacité à énoncer la procédure pourtant maintes fois réalisées dans la phase 1. L'autre source d'erreur est, quant à elle, extrinsèque à la tâche et concerne le déficit d'attention observé chez plusieurs enfants, qui perdent rapidement de vue le but de la tâche à réaliser. Doit-on y voir un problème de motivation ? Ou plutôt, une défaillance de la mémoire de travail qui ne maintient pas la consigne jusqu'à l'accomplissement de la tâche ? Sans doute, plusieurs facteurs permettent-ils d'expliquer le désinvestissement de certains enfants dans la tâche. Toujours est-il que, d'une façon générale, à l'issue de la phase (4) relative aux activités de catégorisation fondées sur des opérations mentales exigeantes, est apparu clairement le risque de voir décrocher une partie des enfants et de laisser les enfants possédant un haut niveau d'attention, un vocabulaire diversifié et d'un arrière-plan culturel déjà bien façonné par l'environnement familial et social, s'approprier le dispositif (5). Or, idéologiquement, notre intention était bien de montrer que la culture patrimoniale est non seulement accessible à chaque enfant pour peu qu'on lui en ouvre le chemin mais qu'elle peut également se révéler une source de plaisir et de satisfaction à travers l'acte même d'apprendre et, inconsciemment, de façonner son rapport au monde. Afin de pallier au risque d'émiettement de la motivation chez certains, des activités valorisant l'engagement dans l'apprentissage par le geste et l'action ont apporté des respirations bienvenues aux activités sollicitant une forte tension intellectuelle(6). Ainsi la création de tablettes en argile reproduisant les premiers signes d'écriture, des activités mathématiques de mesure des oeuvres (7) ou encore des activités musicales consistant à associer une oeuvre à des extraits sonores propres à chaque période, ont eu pour effets de remobiliser l'ensemble du groupe classe autour du projet à des moments où la motivation de certains s'étiolait. Ceci étant, c'est davantage encore le mode d'organisation des activités qui nous a semblé s'imposer comme le rempart le plus efficace au décrochage des enfants, en particulier, des plus « vulnérables » : un temps de travail individuel précédait toujours la confrontation collective des hypothèses et des idées ainsi, chaque enfant, individuellement, avait quoi qu'il en soit le temps, d'élaborer, avec l'aide de l'enseignant si nécessaire, sa propre réflexion avant de venir l'argumenter devant les autres. Cette façon de procéder, à la marge des recommandations prescrites par la « pédagogie coopérative » n'a pas entamé le développement « d'une interdépendance positive » entre les apprenants, bien au contraire. A cet égard, « la médiation » enseignante a d'abord pris sens dans une gestion rigoureuse du temps de parole des uns et des autres, condition indispensable à la mise en place d'une atmosphère de travail bienveillante placée sous le signe de l'échange d'idées et de connaissances (8), mais aussi pour atténuer l'expression des inégalités culturelles entre les enfants au sein de la classe et éviter que certains ne monopolisent les interactions verbales. A cet égard, nous avons pu observer, avec l'enseignante, l'émergence de comportements témoignant d'une écoute et d'un respect réciproque accrus. 
Enfin, pour pallier à la difficulté de certains enfants de soutenir leur attention à la tâche, nous avons pris l'habitude de faire précéder chaque activité en lien avec le projet « Bih-Bih » par un temps de jeu, emprunté à un dispositif expérimental (9) destiné à améliorer le contrôle inhibiteur chez l'enfant. Apparenté au classique « Jacques a dit », rebaptisé pour l'occasion en « Nefertiti a dit » ou en « La Dame à la capuche a dit », ce jeu requérait des enfants qu'ils exécutent ou non une action mobilisant leurs nouvelles connaissances. D'eux-mêmes, les enfants se sont appropriés ce jeu pour en faire un rituel de mise en activité.
1 Nous nous référons à la présentation d'une étude conduite par MAKOWSKI et ROSSI sur les effets de l'âge sur le jugement esthétique. Ses principaux enseignements ont été présentés lors d'une conférence dont le support visuel est accessible ici: https://www.researchgate.net/publication/260317281_Makowski_D_Rossi_S_2013_Le_jugement_esthetique_chez_l'enfant_Journee_Neurosciences_Esthetique_et_Complexite_Paris_France_28_septembre
Ces derniers font l'hypothèse d'un lien entre la maîtrise du contrôle cognitif et la capacité à élaborer un jugement à la fois « intégratif et objectif ». Ils considèrent que la transition enfance/adolescence est un moment-clé de cette évolution qu'ils rapprochent du développement du cortex pré-frontal, siège de fonctions exécutives telles que l'inhibition.
Pour illustrer cette partie du dispositif, nous avons retenu deux présentations d'oeuvres: celle de Louane qui semble avoir bien compris la consigne (capsule 6:https://www.dropbox.com/s/nucw11fcr1wc1uh/LOUANE-SARCOPHAGE.mp4?dl=0) et celle de Maeven qui continue de contourner la description de son oeuvre en s'accrochant à des éléments familiers : capsule 7:https://www.dropbox.com/s/cvmn48aze0ga57x/OEUVRE%20DE%20MAEVEN.mp4?dl=0
4 Nous reviendrons plus loin sur le rôle de la mémoire de travail.
5 Comme l'évoque Sylvie Cèbe, « La réitération d'expériences et la réalisation de tâches pourtant pertinentes du point de vue du développement sont efficaces pour une grande majorité d'élèves mais ne le sont pas pour tous », extrait d'une conférence mise en ligne par l'Académie de Toulouse, https://www.google.be/webhp?sourceid=chrome-instant&ion=1&espv=2&ie=UTF-8#q=Syvie+c%C3%A8be
6 BARTH, p. 56 : « Les premières compréhensions commencent dès l'action » , selon l'approche culturelle de Barth, corroborée par les neurosciences. Le premier rapport rapport au réel que se construisent les enfants se fait par le toucher initié par le geste. On observe une automatisation plus aisée et plus précoce du geste que des opérations mentales requérant un haut niveau d'attention comme la comparaison ou la catégorisation, ce qui confère aux enfants un plus grand sentiment de maîtrise. Les neurosciences expliquent ce phénomène par le fait que les aires sensorimotrices sont les premières concernées par l'élagage neuronal qui permet de faire le tri entre les connexions inutiles et les connexions pertinentes qui deviennent, par la même occasion, de plus en plus performantes. Voir N. CHEVALIER, 2010, 155; plus récemment, EUSTACHE & GUILLERY-GIRARD, 2010, p. 100.
7 Les enfants sont invités à se représenter la taille des différentes oeuvres avalées par le Bouffron-Gouffron (capsule 10: https://www.dropbox.com/s/azscxxlg4kotg8y/ETAPE13-PRISE%20DE%20MESURE.mp4?dl=0)
Capsule 10-B: Antoine à propos des temples grecs:
https://www.dropbox.com/s/dixb8l73nk7o2qt/GENERALISATION-ANTOINE.mp4?dl=0
9 ROSSI & alii, 2012, "Une pédagogie du contrôle cognitif pour l'amélioration de l'attention à la consigne chez l'enfant", dans ARN, 1 (2012), pp. 29-54.
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