Largement intégrée au dispositif d'enseignement à l'école maternelle, la ritualisation est un type d'organisation des apprentissages de plus en plus délaissé au fur et à mesure que les apprenants progressent de leur scolarité, au profit de séquences plus longues. Pourtant, et quel que soit l'âge de ces derniers, la ritualisation offre un cadre méthodologique particulièrement opérant, dès lors qu'il s'agit d'exercer et de consolider une procédure (suite organisée d'actions mentales) dont on souhaite qu'elle s'automatise, ce qui était le cas ici : décrire est une activité mentale qui suppose d'être capable de mémoriser et de convoquer un enchaînement ordonné de questions. D'une part, la dimension répétitive inhérente au rituel, organisé selon un schéma « stable »(1), permet un réinvestissement constant des procédures qui, à force d'être sollicitées, deviennent de plus en plus efficientes. Elle crée les conditions d'une « routine cognitive »  qui permet aux enfants de s' approprier puis d'intérioriser progressivement les balises de celle-ci. De surcroît, l'apprenant en vient rapidement à savoir ce que l'on attend de lui sans que cela lui demande un quelconque effort et dans un cadre que l'habitude rend rassurant(2). La procédure inhérente à la tâche lui devenant familière, l'attention de l'enfant, libérée de cette charge, peut se focaliser totalement sur ce qu'il observe et décrit(3). D'autre part, en sollicitant fréquemment et régulièrement, les mêmes connexions, la répétition de la procédure accroît la flexibilité neuronale de l'apprenant qui, à force d'emprunter les mêmes sentiers neuronaux, acquiert une aisance cognitive qui lui permet d'atteindre de plus en plus facilement les objectifs d'apprentissage(4). En psychologie cognitive, certaines expérimentations menées sur le terrain des classes conduisent aujourd'hui à poser deux constats éclairants. Le premier est qu'il ne peut y avoir de construction de connaissances qu'à la condition qu'il y ait eu 3 ou 4 expériences d'interactions avec l'information pertinente ; le second indique qu'un élève ne peut établir de liens entre plusieurs informations que si leur présentation n'est pas distante de plus deux jours(5). Enfin, Feuerstein envisage la répétition positive comme une condition indispensable pour créer chez tout apprenant le besoin de mobiliser ses connaissances(6). Et cette avidité des enfants, de tous les enfants sans exception, à rendre compte de leurs savoirs n'a cessé de se vérifier d'un bout à l'autre du dispositif.
Sur le plan de la conceptualisation, le rituel a permis une juxtaposition des exemples propres aux concepts inhérents à la nature des traces du passé qui se sont construits au fur et à mesure que leurs attributs essentiels (couleurs, formes, matériaux, techniques) étaient pointés, verbalisés et, finalement, formalisés à l'aide d'un tableau complété au fil des jours. Chaque nouveau rituel commençait d'ailleurs par l'évocation des oeuvres vues les jours précédents offrant ainsi la possibilité, selon une approche spiralaire, d'en affiner l'observation et d'en enrichir la description. Le caractère progressif du rituel a permis une élaboration graduelle du processus – les enfants ont intériorisé la grille d'analyse- et du concept, les deux se répondant constamment et se faisant sens l'un l'autre. Certes, il n'est pas encore question de parler de transfert, mais d'une première étape indispensable à celui-ci. A ce titre, le rituel s'est mis au service d'une abstraction progressive des concepts sélectionnés, créant un terrain propice à l'étape suivante : la catégorisation.
1CEBE, dans AUZOU-CAILLEMET, JUHEL et LORET, 2016, p. 190, plaide en faveur d'un certain formatage des activités car la stabilité favorise les anticipations des actions et leur contrôle. Elle préconise l'utilisation d'un matériel épuré, limitant ainsi les distractions, et un déroulement en quatre temps : - rappel des acquis, présentation de l'objectif, prise d'information et planification des procédures.
BARTH, 2001, p. 15 : « La nature répétitive (...) de ces activités est un aspect essentiel de la classe car elle permet aux enfants de passer rapidement et sans effort d'une structure de participation à une autre. Dès que les élèves reconnaissent une structure de participation donnée, ils comprennent le rôle qu'on attend d'eux ». Plus récemment, EUSTACHE & GUILLERY-GIRARD, 2016, p. 98, rappelaient que le processus d'encodage d'une information était grandement facilité par la similitude des trois principaux paramètres de l'encodage : le traitement, les contextes de traitement, le matériel convoqué lors du traitement. Dans le cadre des rituels qui ont jalonné cette première phase du dispositif, ces trois conditions étaient remplies.
GAONAC'H & FRADET, 2003, p. 134.
4 MASSON 2016, pp. 18-21, utilise la métaphore de la forêt pour évoquer le cerveau : il met en parallèle le passage répété du marcheur qui crée un sentier de plus en plus facile à emprunter avec la répétition nécessaire à l'élève pour que ses connexions neuronales deviennent aisées. Ceci étant, la répétition qu'il évoque est une répétition qui va de pair avec une activation cérébrale, condition indispensable à l'acte d'apprendre.
Il s'agit ici de constats posés par un chercheur américain, G. NUTHALL, The anatomy of memory in the classroom : Understanding how the students acquire memory process from classroom activities in science and social studies, American Educational Research Journal, 37 (2000), pp. 247-304, et cité dans GAONAC'H & FRADET, 2003, p. 136.
6 Voir chapitre consacré à FEUERSTEIN, Le PEI (Programme d'enrichissement instrumental) dans J. MARTIN & G. PARAVY (éds), Pédagogies de la médiation : autour du PEI, Chronique Sociale, Lyon,1996.
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