1. Un classement aléatoire pour mieux appréhender le « « déjà là » et évaluer les premiers acquis
Dans la pratique, les enfants ont été invités à reclasser les oeuvres – celles extraites de Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron - de la plus ancienne à la plus récente en se fondant sur leurs seules observations et éventuellement les connaissances déjà installées. En soumettant aux apprenants une telle consigne, ce n'était pas l'exactitude du classement qui était ciblée ; l'enjeu n'était pas la réussite de l'activité mais bien ce qu'elle allait permettre de diagnostiquer chez l'enfant sur le plan des démarches et des habiletés cognitives, sachant que plusieurs niveaux d'obstacles l'attendaient (1). Arrêtons-nous sur chacun d'eux. Tout d'abord, la signification d' « ancien » et de « récent » n'est pas comprise par chacun ; et même si on contourne la difficulté lexicale en les rapprochant de « jeune » et « vieux », subsiste chez certains enfants une difficulté à identifier les critères permettant d'établir ce qui est ancien et ce qui est récent. Ensuite, ils se heurtent une nouvelle fois à un problème d'organisation spatiale car organiser les oeuvres de « la plus ancienne à la plus récente » oblige à ordonner l'information au fur et à mesure, sur une droite horizontale allant de la gauche vers la droite. Ce passage était pourtant obligé pour familiariser l'apprenant avec l'ordre substantiel à la temporalité, la succession, et avec la représentation de celle-ci, une droite horizontale supportant des repères organisés de la gauche vers la droite : la ligne du temps.Cette approche par sédimentation progressive des connaissances a fait apparaître deux avantages : d'une part, elle a tenu lieu d'évaluation des deux premières phases du dispositif : les enfants emmenant avec eux, dans cette nouvelle activité, les outils d'analyse, les acquis lexicaux, les premières balises conceptuelles, des aptitudes d'analyse et d'observation fine en construction. A cet égard, leur familiarité avec les oeuvres, acquise précédemment, a imposé une qualité et une densité des interactions verbales tout à fait significative. De surcroît, les propositions de classement étant différentes d'un enfant à l'autre, l'ensemble du groupe a pu faire cheminer sa réflexion tout en la confrontant de façon répétée aux autres, donnant tout son sens au conflit socio-cognitif qui s'est notablement enrichi au fil des jours (2). D'autre part, introduire un nouveau critère de classement des oeuvres – le classement chronologique a remplacé le classement typologique- a déplacé le point de vue des enfants, obligés d'examiner cet objet d'étude désormais familier avec un regard autre, de le revisiter dans un contexte différent et de lui poser de nouvelles questions, en le soumettant à de nouvelles hypothèses, en tenant compte de ce nouvel objectif (3): réaliser une ligne du temps des oeuvres. Au fil des « transactions cognitives » opérées par les enfants à partir des propositions et des suggestions de chacun s'est fait jour l'embryon d'un schéma de pensée contextualisé, les prémisses de ce que l'on peut nommer  « raisonnement historique ». Enfin, les enfants ont pris conscience des limites de l'observation qui exige, à un moment donné, d'être relayé par le savoir de référence : aussi rigoureuse soit-elle, l'observation peut être biaisée. Ainsi, ce n'est pas parce qu'une sculpture est « abîmée », unique argument utilisé au départ par les enfants pour étayer leur classement chronologique, qu'elle est forcément plus ancienne qu'une autre, elle peut avoir été conservée dans de meilleures conditions, voire reproduite à l'identique, créant ainsi l'illusion de sa proximité temporelle. Sur le plan de la pensée historique, une double prise de conscience a ainsi pu se réaliser : celle de la nécessaire distance critique par rapport à notre perception qui même lorsqu'elle est balisée par des outils d'analyse opérants et rigoureux peut être trompeuse, d'une part, celle du rôle indispensable du savoir pour appréhender le réel, d'autre part.
Première approche du classement chronologique (capsule 11:
https://www.dropbox.com/s/pqd43kexxw6s65y/LIGNE-DU-TEMPS%20EN%20CONSTRUCTION.mp4?dl=0)
Ce que DERY 2008, 90, nomme "l'indexation des connaissances".
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