Chaque jour, un enfant était invité à plonger la main dans le ventre du Bouffron-Gouffron et à en retirer une « oeuvre » ou plutôt sa représentation illustrée par Claude Ponti.  Après l'avoir affichée au tableau, il devait l'observer et mettre des mots sur ce qu'il voyait. Une fois qu'il avait atteint les limites de sa description, il lui restait à retrouver l'oeuvre authentique correspondante dans une série de reproductions photographiques des dites oeuvres (capsule 1:https://www.dropbox.com/s/7vnv7pitck6w4qc/ETAPE1-RITUELS.mp4?dl=0)

De la perception à la description : médiation verbale et décentration
A priori anodin, l'exercice est plus exigeant qu'il n'y paraît dans la mesure où il est demandé à l'enfant d'observer des objets qui lui sont, pour l'essentiel, totalement inconnus tant visuellement (1) que verbalement (il ne sait pas les nommer). En effet, cette étape laissait à chaque fois affleurer plusieurs types de difficultés que l'on peut, sans trop de difficultés, organiser en deux ordres : le premier est perceptuel, le second, langagier. Arrêtons-nous sur les difficultés d'ordre perceptuel. Tout d'abord, l'enfant ne voit que ce qu'il connaît, que cette connaissance soit le fruit de son expérience ou d'un apprentissage. Ainsi Lucas reconnaît, dans la "statue-menhir" qui lui est présentée, un phoque ou Clarysse, confrontée à l'illustration de l'Erechthéion se tire de son embarras en évoquant la pomme présente à l'arrière plan de l'image. Le rôle de l'enseignant est ici tout à la fois décisif et subtil: prendre appui sur les propositions ou les « blancs » des enfants pour bâtir un questionnement susceptible de rendre l'invisible visible aux yeux de l'enfant. Poser les questions qui feront apparaître le matériau, la forme, les couleurs, à partir des propositions souvent autocentrées des enfants est pour l'enseignant, même chevronné, un exercice exigeant qui suppose qu'il soit très au clair avec les objectifs qu'il poursuit. En effet, sa mission est d'amener l'enfant à mettre de l'espace entre sa perception, le plus souvent globale, intuitive et égocentrée afin aller progressivement vers une analyse plus approfondie et distanciée de l'objet. Passer de « la perception au discernement », pour reprendre les termes de B.-M. Barth suppose le basculement d'une attention perceptive en une attention sélective qui s'appuie sur un processus intentionnel et contrôlé(2) . C'est parce que cette condition première est remplie que l'enfant est en mesure de « filtrer » un certain nombre d'éléments pertinents au détriment d'autres qui le sont moins(3). Et c'est grâce aux interactions verbales que ce passage va pouvoir s'opérer sous la houlette de l'enseignant à qui il revient d'orchestrer un constant aller retour verbal entre entre lui-même, chaque enfant et le groupe (4) : la qualité de l'étayage est ici décisive.
Mais, pour indispensable qu'elle soit dans le dépassement des difficultés des enfants, la médiation verbale est également source de difficultés : la représentation « symbolique » de l'objet observé, autrement dit, sa mise en mots n'est pas plus aisée. A cet âge, les lacunes lexicales entravent encore très largement la démarche de description : l'enfant voit des choses mais ne sait pas les nommer. Le langage, comme instrument de la description nécessite donc une attention toute particulière. Un enfant ne sait pas identifier un temple en utilisant l'étiquette « temple », toutefois, il peut reconnaître « un toit porté par plusieurs madames », à savoir les Caryatides. Il peut le rapprocher d'objets connus et ainsi manipuler un type de raisonnement « naturel »(5) privilégié à cet âge mais, surtout, considéré comme une étape décisive et incontournable de l'appropriation des savoirs historiques : l'analogie. Si cette stratégie reste encore, à cet âge, très égocentrée (6), elle n'est pas moins révélatrice de niveaux de connaissances antérieures qui ont déjà du sens pour l'apprenant et constituent à ce titre des bases d'appui utiles pour alimenter l'étayage par l'enseignant. Selon D. Cariou, l'apprenant ne peut pas faire l'économie des ces rapprochements ; ils participent d'une première socialisation des connaissances même si, à ce stade, ils restent encore « incontrôlés »(7). En outre, le raisonnement par analogie offre un support non négligeable au processus de mémorisation à long terme. En effet, à travers cette association d'idées, l'enfant est appelé à solliciter sa mémoire épisodique, celle des souvenirs, des moments vécus, dont on sait qu'elle joue un rôle indispensable dans la fixation de la mémoire sémantique, celle des connaissances et des savoirs(8). Par ailleurs, l'enfant construit implicitement des liens dont il est essentiel, pour l'enseignant, de percevoir assez vite la validité. Certaines interactions démontrent que l'apprenant possède déjà des connaissances mobilisables et parvient à des mises en réseaux parfaitement pertinentes(9) ; d'autres, en revanche, le sont moins et laissent affleurer toutes sortes de connaissances inexactes, voire de fausses croyances (10). 
En conclusion, l'observation/description constitue une tâche complexe qui confronte l'enfant à de micro-obstacles cognitifs répétés sur le plan perceptuel, sur le plan verbal, sur le plan des processus cognitifs engagés et qu'il revient à l'enseignant de déceler et guider, en ajustant son étayage et en régulant constamment sa pratique pour ouvrir la voie à la compréhension(11). C'est pour cette raison que nous avons choisi de l'organiser sous la forme d'un rituel quotidien : « L'oeuvre du jour ».
1 Quand une statue-menhir devient un « phoque » dans les yeux de Lucas (capsule 2:https://www.dropbox.com/s/08atr52vlwqi2om/RITUEL%20LUCAS.mp4?dl=0).
VIROLE, partie sur l'attention dans "La complexité de soi", 2011, p. 3(version numérique: http://virole.pagesperso-orange.fr/atten.pdf). 
Synthèse d'une conférence donnée le 25 novembre 2015 par B.-M. Barth : « Construire des concepts à travers les disciplines en lien avec les nouveaux programmes et les rythmes scolaires », (version numérique: http://cpd67.site.ac-strasbourg.fr/portail/wp-content/uploads/2015/09/Conf%C3%A9rence-BRITT-MARI-BARTH-25_11_15PF1.pdf)
MARIN, dans ROCHEX (sous la dir.), 2011, 87 : Pour cette dernière, l'étayage est d'autant plus plus profitable à l'ensemble des élèves qu'il s'imbrique dans les hétéroformulations de ceux-ci pour les constituer en une suite de propos homogènes.
LE MAREC, 2009, p. 17.
GLADY, 2013, p. 
CARIOU, 2006, p.6, distingue les analogies non contrôlées (qui rapprochent des faits du passé à connaître d'éléments de la pensée sociale du sens commun des élèves) et les analogies contrôlées (structurées et formalisées par la mobilisation en classe des opérations d'historisation spécifique, des rapprochements valides sur le plan historique),
On relèvera l'échange entre Clarysse et Philomène à propos de Cromignon (capsule 3:https://www.dropbox.com/s/iy2y14ngy8uyxp8/CLARYSSE-PHILO-CROMIGNON.mp4?dl=0).
9 En guise d'illustration de cette capacité de mise en réseau, on relèvera les échanges entre Ilan, Lucien et Antoine à propos de l'apparition de l'écriture comme événement marquant le passage entre la Préhistoire et l'Histoire.
10 Philomène plonge dans ses souvenirs personnels pour se rappeler le personnage de Joseph en lien avec l'Egypte antique (capsule 4).
11BRUNER cité par Barth lors de sa conférence du 25/11/2015, cf. supra. 
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